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Turpin : "Tellement de chance"

À 30 ans, le jeune officiel bourguignon goûte pleinement sa passion et son plaisir d'officier au haut niveau tout en oeuvrant pour la promotion de l'arbitrage à la base. Il s'est confié récemment à Foot Mag.

 

 

Avec l'arrivée de Benoît Bastien cette saison, vous n'êtes plus le benjamin des arbitres de Ligue 1…

"Exact ! Les années passent, de nouvelles têtes apparaissent et c'est très bien. On ne peut que s'en réjouir."
 
La L1 compte désormais quatre officiels de moins de 30 ans (1). Ce rajeunissement est-il une nécessité ?

"C'est une bonne chose. De là à dire qu'il s'agit d'une nécessité… Très honnêtement, pour moi, l'âge importe très peu. Ce n'est pas la caractéristique essentielle d'un bon arbitre."
 
Vous vous affirmez de plus en plus comme l'une des figures de proue de l'arbitrage français en tout cas.

"(Il hésite). Je mettrais un gros bémol à cette affirmation. Nos "tauliers" ont d'abord pour nom Stéphane Lannoy, Laurent Duhamel et Tony Chapron, autant de garçons expérimentés possédant d'énormes qualités et qui brillent sur la scène européenne. Mais certainement pas moi !"
 
Vous êtes pourtant régulièrement plébiscité non ? Et très peu critiqué.

"Je ne suis pas responsable de ce qui se dit à gauche et à droite. Quant à la critique, ça viendra, croyez-moi. Personne n'y échappe, dans n'importe quelle division."
 
Vous avez tout de même été choisi pour la dernière finale de Coupe de France.

"C'est tombé sur moi. Avec beaucoup de plaisir et une grande fierté. J'ai eu la chance de pouvoir m'amuser avec mes collègues lors de ce magnifique événement mais il ne faut pas en tirer d'autres enseignements. Sans langue de bois de ma part."
 
Est-ce de la modestie ou une façon d'échapper à la pression ?

"Ni l'un ni l'autre, je le pense véritablement. L'arbitrage est une activité à hauts risques dans laquelle le match le plus dur est toujours le suivant. Un jour ou l'autre, la chance vous fuit. Je suis simplement un arbitre de Ligue 1 qui goûte au jour le jour son plaisir de vivre cette vie et d'enfiler sa tenue."
 
C'est votre philosophie ?

"Voilà. J'essaye d'avancer sur ce chemin-là, en gardant mes convictions et ma façon d'appréhender l'arbitrage. Et surtout, le sourire. Ce qui se dit ou s'écrit est éphémère, et je n'y porte que très peu d'intérêt."
 
Votre précocité au haut niveau vous a valu l'étiquette de surdoué. Qu'en pensez-vous ?

"Le mot est trop extrême à mon goût. J'ai eu la chance, je ne le nie pas, de connaître une progression rapide (ndlr : Clément Turpin s'est lancé dans l'arbitrage à 16 ans), grâce à l'aide d'excellents formateurs. Mais Olivier Thual ou Philippe Kalt ont aussi grimpé très vite les échelons. Je ne suis pas un cas à part."
 
L'arbitrage est pour vous une vocation, vous nous l'accordez ?

"Ah oui ! J'attends toujours avec impatience le match à venir. Il n'y a pas plus heureux que moi lorsque je découvre ma prochaine nomination et que je prépare mon sac. Gamin à Montceau (Saône-et-Loire), où mon père était président du club, je partais jouer au stade avec le même enthousiasme (ndlr : il a joué jusqu'à 19 ans). Je conserve ce plaisir juvénile."
 
Quelles satisfactions trouvez-vous à arbitrer ?

"Le football a d'abord été créé pour les joueurs. La mission de l'arbitre n'est que secondaire et consiste à leur permettre de s'exprimer au mieux et d'offrir au public le spectacle qu'il attend. Voilà ce qui me plaît. On est là pour les autres. J'ai aime aussi la prise de décisions, de responsabilités, très nombreuses pendant une heure et demie. C'est épanouissant sur le plan personnel."
 
Comment concevez-vous votre relation avec les autres acteurs du jeu ?

"On est là pour s'entraider. À partir du moment où les rôles respectifs sont bien définis, où une relation de confiance s'instaure, c'est du gagnant-gagnant durant quatre-vingt-dix minutes. Dans le dialogue, j'essaye de trouver la bonne mesure. Trop parler finit par brouiller le message et ne rien dire revient à se fermer aux autres. Quand une situation exige une explication, je la donne. Souvent, quelques mots suffisent."
 
Vous faites preuve de psychologie ?

"C'est un grand et joli mot. Un peu comme le respect. Il faut voir ce qu'il y a de concret derrière."
 
L'arbitrage moderne est mentalement exigeant. Comment gérez-vous cet aspect ?

"Il est difficile d'échapper à la pression. On vit avec, elle est là avant chaque match. Les enjeux sont tels que c'est inévitable. J'essaye de la canaliser, de lui opposer mes convictions, de la transformer en énergie positive."
 
Les critiques n'épargnent pas l'arbitrage français. Est-il dans le creux de la vague comme on le dit ?

"Très honnêtement, je ne crois pas. Stéphane Lannoy a fait le Mondial 2010 et tourne régulièrement en Ligue des Champions. Tony Chapron revient du Mondial U17 au Mexique. On a d'autres garçons très performants que nous soutenons à fond."
 
Vous êtes à la fois représentant de l'élite et proche de la base en tant que CTRA de la Ligue de Bourgogne. Comment faites-vous le lien entre ces deux mondes ?

"Je m'efforce de transmettre ce que j'apprends ou observe au niveau national et international, au corps arbitral de la ligue et de ses districts, en l'adaptant bien sûr aux spécificités régionales et départementales. Ces deux aspects sont aussi passionnants l'un que l'autre. La mission de CTRA, dédiée au développement et à la promotion de l'arbitrage, se révèle très excitante."
 
Quelles en sont les difficultés ? Le recrutement ? La fidélisation ?

"Recruter de nouveaux arbitres n'est pas simple, en effet. Même si les chiffres montrent une progression, cela demande beaucoup de travail de la part des bénévoles présents au quotidien pour détecter de futurs jeunes arbitres et les former."
 
À quels freins vous heurtez-vous ?

"Autant les relations entre les hommes de terrain -entraîneurs, joueurs, arbitres- vont, me semble-t-il, en s'améliorant, avec davantage de compréhension et de complicité, autant le comportement des personnes derrière la main courante continue d'effrayer. Je comprends que certains hésitent à devenir arbitres. Prendre de son temps libre pour venir se faire insulter gratuitement et stupidement… C'est terrible !"
 
Difficile d'attirer les jeunes dans ces conditions ?

"Au contraire ! Beaucoup de gamins rêvent d'arbitrer ! Dans les stages que j'organise dans les clubs, tous veulent prendre le sifflet ! Les plus motivés franchissent le pas, mais après leur premier match, ils déchantent et ne comprennent pas… Cela me fait mal au cœur. L'environnement est trop dur."
 
Comment lutter ?

"Beaucoup d'opérations sont entreprises. De notre côté, on travaille sur la sensibilisation des parents pour changer leur regard sur notre fonction, à travers des activités ludiques, des soirées sympas, en espérant que cela fasse boule de neige. Mais personne n'a la solution miracle pour maîtriser tous les individus d'une foule."
 
Comment voyez-vous vos quinze prochaines saisons dans l'arbitrage ?

"Oh la ! Moi, je ne vois pas plus loin que mon programme de la semaine. Disons… J'ai plein de rêves mais je les garde pour moi. J'ai déjà tellement de chance."
 
Le Mondial 2014 au Brésil, l'Euro 2016 en France ?

"Je les suivrai avec plaisir."
 
Des objectifs alors ?

"Vous savez, un arbitre évolue toujours sur un fil, comme un funambule. Au haut niveau, nul n'est à l'abri d'une mauvaise performance, d'une blessure, d'un problème personnel. Demain, tout peut s'arrêter. On a beau se préparer impeccablement bien, rien ne peut marcher sans une petite étoile au-dessus de la tête… Et moi, depuis quelque temps, j'ai l'impression d'avoir une constellation au-dessus de moi ! J'espère la garder pour les quinze prochaines années."
 
(1) Benoît Bastien, Benoît Millot, Nicolas Rainville, Clément Turpin.
Photo FEP


18/10/2011
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